In Pensées pour une saison – Printemps, #74.
Avec toute une gradation dans les exemples fournis par l’histoire humaine, les groupements organisés d’une certaine importance peuvent être distingués soit comme des empires, fondés sur la force d’abord, soit comme des civilisations, fondées sur la loi d’abord.
La loi, laïque ou religieuse, se voulant fondée soit sur la légitimité des origines, soit sur la légitimité que procure le respect des règles morales, voire le respect de règles éthiques.
La force attire en nombre parce qu’elle est force, rien de plus ; aussi, quand elle faiblit, pour l’une ou l’autre raison, l’empire peut-il être rapidement balayé. Alors que la morale et l’éthique rassemblent dans le succès comme dans l’épreuve : le bien mérite qu’on le soutienne quand il est menacé ; aussi les civilisations sont-elles plus résilientes et plus durables, trouvant en leur sein des appuis nombreux dans l’épreuve, et plus facilement des alliés à l’extérieur.
Il y a morale et éthique, toutefois…
La plupart des civilisations qui se voulaient fondées sur la morale ont duré moins longtemps qu’elles ne l’auraient pu (leur effritement social, puis leur effondrement politique, s’étant principalement fait depuis l’intérieur). La raison essentielle de cette relative brièveté : leur morale était friable et bancale – car elle n’était pas, avant tout, fondée sur la dénonciation de la cruauté. Plutôt sur la dénonciation morale de tel ou tel acte quant à son objet : on ne doit pas tuer ceci, on ne doit pas manger cela, on doit assister un tel dans la peine – mais surtout pas un tel… etc.
C’est toujours le cas : la mentalité ou l’état mental du sujet commettant un crime sont rarement évoqués, ou alors seulement pour définir légalement des circonstances atténuantes.
Ainsi, encore et toujours, en dehors de la complaisance voyeuriste à décrire dans le détail des horreurs, la notion même de cruauté se trouve à peine mentionnée dans les comptes rendus légaux et dans les tribunaux. Ce qui est mis en avant dans la dénonciation de certains actes abjects c’est leur catégorie d’objet : “ génocide ”, “ racisme ”, “ anti-sémitisme ”, “ sexisme ”, “ pédophilie ”… Les objets d’interdiction et les obligations sociales changent avec le temps, on s’imagine dès lors avoir accompli un progrès… mais tout cela reste très primitif : on se trouve toujours dans une idéologie du tabou. Pas dans une pensée éthique.
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